UNE DRÔLE DE PETITE FILLE


 

Extraits d'anecdotes racontées par Pournapréma en février 1978 aux enfants de 8 à 12 uns du Centre d'Éducation de l'Ashram, d'après des notes recueillies au cours de conversations avec Douce Mère

 


HISTOIRES DE DOUCE MÈRE RACONTÉES AUX ENFANTS

 

 

 

La Mère en 1897


Lorsque j'étais enfant et que je me plaignais à ma mère de la nourriture ou de petites choses de ce genre, elle me disait toujours d'aller faire mon travail ou de continuer à étudier au lieu de donner de l'importance à des futilités. Elle me demandait si j'avais l'illusion de croire que j'étais née pour mon plaisir. «Tu es née pour réaliser le plus haut Idéal, disait-elle, et elle m'envoyait promener. Elle avait bien raison, mais naturellement son idée du plus haut Idéal était plutôt pauvre par rapport au but que nous poursuivons ici. Nous sommes tous nés pour le plus haut Idéal.

LA MÈRE Entretiens 1930-31

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Une drôle de petite fille...

Vous comprenez ce que cela veut dire ?

Une drôle de petite fille,

c'est une petite fille qui n'est pas ordinaire.

Je crois que vous la connaissez...

C'est cette petite fille-là qui n'est pas ordinaire.

Cette petite fille s'appelle Mirra, Mirra Alfassa.

C'est-à-dire que, dès sa naissance, elle s'appelait:

Mirra Alfassa,

et que ses initiales étaient M A, MA.

Dès qu'elle est née elle s'appelait MA

Sur son linge,

sur ses draps,

sur ses petits vêtements,

on avait brodé : MA.

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Je ne sais pas si vous connaissez

un peu la famille de Douce Mère,

qui était son papa,

qui était sa maman...

C'est une drôle de famille!

Sa maman venait d'Égypte,

son papa venait de Turquie,

et Douce Mère est née en France,

et elle avait un nom indien !

C'est une famille pas ordinaire,

parce que Égypte et la Turquie

ne sont pas tout près

l'une de l'autre,

et la France non plus

de Égypte ni de la Turquie,

et l'Inde

n'est pas tout près de la France.

La maman de Douce Mère, portrait par Henri Morisset père.

 

Alors, dès le début, elle rassemblait en elle beaucoup d'endroits à la fois. Et puis, sa maman, qui venait Égypte, était de religion juive, et son papa, qui venait de Turquie, était de religion musulmane. Généralement, ce sont des gens qui ne se marient pas entre eux, surtout à cette époque-là. Il y a longtemps, il y a cent ans. Et Douce Mère est donc née, peut-on dire, sans race ni religion, parce que ni son papa ni sa maman n'étaient croyants, ils étaient tous deux matérialistes, et ainsi Douce Mère a été élevée libre de toute influence religieuse. Donc, elle est née en France, et vous savez que la plus grande partie de sa vie, elle l'a passée en Inde. Ça, vous le savez.

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Alors, il y a tout juste cent ans que son papa et sa maman sont arrivés à Paris, avec son frère Mattéo qui, lui, était né à Alexandrie, en Égypte Elle aimait beaucoup son frère, elle a beaucoup parlé de lui, ils avaient une grande intimité, c'était son compagnon de jeux et elle avait beaucoup d'admiration pour lui. C'était d'ailleurs un homme très attachant et remarquablement intelligent.

 

Il y a une raison, sans doute, pour laquelle Douce Mère devait naître en France avec des origines aussi éloignées de la France, mais ça, c'est une autre histoire...

 

Son papa était banquier. Il est arrivé à Paris, il était très jeune, il avait beaucoup d'ambition. Il avait rencontré la maman de Douce Mère parce que la maman de Douce Mère était aussi d'une famille de banquiers. C'est comme ça qu'ils s'étaient connus: dans le monde des affaires. Et c'est aussi comme ça que l'on avait admis ce mariage hors religion, «out cast» comme on dirait en Inde — à ce moment-là, les mariages étaient arrangés, comme en Inde, les jeunes n'étaient pas libres comme ils le sont maintenant. La maman de Douce Mère racontait qu'elle avait voulu épouser ce monsieur parce qu'il avait beaucoup de livres! Elle pensait qu'avec une bibliothèque pareille dans la maison, elle ne s'ennuierait jamais.

 

 

Mattéo, 1885.

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Lorsqu'elle était encore toute petite, Douce Mère avait déjà

des expériences intérieures.

 

Elle avait à peu près cinq ans,

lorsqu'elle sentait la conscience, là,

au-dessus de sa tête.

Elle s'asseyait dans un petit fauteuil

que l'on avait fait exprès pour elle.

Un tout petit fauteuil capitonné, comme on en faisait à cette époque,

recouvert d'un tissu gris-bleu, avec des fleurs.

«À gauche, il y avait une fenêtre,

en face, il y avait la porte» a-t-elle dit.

Et ce petit fauteuil était dans sa chambre, à Paris,

au 41 boulevard Haussmann, où elle est née.

Elle s'asseyait

et elle sentait cette conscience,

toujours,

au-dessus de sa tête.

«Ce n'est pas du tout un souvenir mental, a-t-elle dit,

c'était une expérience dans le corps. C'est pour cela que je me souviens bien.

Le psychique était déjà très formé. Le mental s'est formé plus tard très lentement.»

Elle s'asseyait dans ce petit fauteuil,

toute seule dans sa chambre,

et elle restait concentrée sur cette lumière,

au-dessus de sa tête.

Et elle se disait:

«C'est Cela que je veux vivre.»

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La Mère, 1882

 

Lorsqu'elle a raconté cela, elle a ajouté avec un petit rire: «J'essayais bien de tirer pour faire descendre cette lumière en moi, mais ça ne descendait pas ! »

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Sur cette photo-là, Douce Mère avait à peu près sept ou huit ans.

 

C'était une petite fille très sérieuse,

qui observait la vie avec une grande attention.

Elle a dit qu'elle se souvenait,

quand on l'habillait pour aller chez le photographe.

Elle regardait les grandes personnes

arranger la robe, le chapeau,

et la faire poser devant le photographe,

et elle se disait:

«Comme c'est enfantin, tout ça!»

 

Son frère avait un an et demi de plus qu'elle et elle voulait beaucoup être aussi grande que lui. Elle se regardait, elle voulait grandir. Un soir, avant de se coucher, elle a regardé pour voir où sa robe arrivait sur ses jambes, elle a bien regardé là où arrivait sa robe, et puis, elle s'est concentrée, concentrée... elle voulait être aussi grande que son frère. Puis elle s'est endormie en pensant à ça: «Je voudrais être aussi grande que mon frère...» Et le lendemain matin, quand elle s'est réveillée, elle a mis sa robe et la robe était un peu plus courte !...

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La Mère, 1885.

«L'Histoire Sainte... comment le Seigneur a créé le monde... il a mis sept jours pour le faire et puis quand il a eu fini, il a trouvé que c'était bien, et il s'est reposé. C'est ce que l'on m'a appris quand j'étais toute petite. Alors, je me suis demandé qu'est-ce que c'était que ce drôle de Seigneur qui met sept jours pour faire quelque chose et qui en plus est fatigué et a besoin...

(Mère rit)...

 

c'était ma première approche du Divin... »

   

Sa maman disait très souvent: «Mirra était une petite fille très silencieuse».

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Les parents de Douce Mère menaient grand train de vie à Paris, avec chevaux et voitures. À cette époque-là, on avait des voitures tirées par des chevaux, on n'avait pas de voitures automobiles. Douce Mère a raconté que ses parents rendaient visite à des amis qui s'appelaient les Camondo. Les Camondo avaient une très jolie maison avec de très jolis meubles; cette maison est d'ailleurs devenue un musée que l'on visite encore aujourd'hui pour la beauté des meubles, c'est le musée Nissim de Camondo. Cette maison donnait sur un immense jardin qui est devenu un jardin public pour les enfants, le parc Monceau. La voiture s'arrêtait sous une verrière — on appelle ça une marquise — pour ne pas être mouillé par la pluie lorsque l'on descendait de voiture pour entrer dans la maison. Et là, sous la marquise, il y avait des quantités de capillaires, et Douce Mère disait qu'elle aimait aller dans cette maison pour regarder les capillaires. Il y en avait des quantités d'espèces différentes, et dès qu'on avait fini de dire bonjour à tout le monde et de faire des révérences, elle passait des heures à admirer les capillaires dans ce jardin qu'elle aimait. Et aujourd'hui encore, dans le jardin de l'Ashram, près du Samadhi, vous verrez souvent des capillaires.

 

Mais le papa de Douce Mère a fait de mauvaises affaires, et du jour au lendemain, il a été complètement ruiné, c'est-à-dire qu'il n'y avait plus d'argent à la maison. Et la vie, évidemment, est devenue difficile. Et comme c'était un homme très honnête, au lieu de fuir, comme l'auraient fait beaucoup de gens, il a vendu tout ce qu'il possédait pour rembourser les dettes de sa banque, et la situation familiale a bien changé.

Mirra, la petite fille, regardait tout ça. Elle regardait les gens avec un certain étonnement parce qu'elle voyait, toute petite, beaucoup de choses pas très jolies, des bassesses, des laideurs, des mensonges. Tout ça la choquait beaucoup. Elle se demandait pourquoi les gens étaient comme ça, et pourquoi la vie était comme ça. Par exemple, il arrivait que les enfants, ses petits camarades, soient très méchants et qu'ils la maltraitent quand ils jouaient. Elle en souffrait beaucoup. Maintenant que son père était ruiné, il n'avait plus de voiture, et quand la famille rendait visite à des amis, ils allaient à pied au lieu d'aller en voiture, et Douce Mère arrivait, avec des chaussures sales, il y avait de la poussière sur ses petites bottines, et les enfants se moquaient d'elle parce que ses bottines étaient sales, parce qu'elle allait à pied. «Alors, dit-elle, je les regardais comme ça, sans rien dire. Rien du tout.»

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Mais lorsqu'elle rentrait chez elle, elle s'asseyait dans son petit fauteuil et elle se disait:

«Mais pourquoi est-ce que j'ai eu mal pour cette méchanceté? Il n'y a pas de raison que ce soit moi qui souffre. Ce sont eux qui ont été méchants.»

Et elle restait là, très tranquille, à observer ses réactions intérieures, interrogeant la conscience au-dessus de sa tête.

Elle sentait qu'elle allait

faire de grandes choses dans

la vie. Elle ne savait pas ce

que c'était que des «grandes

choses», mais elle sentait

qu'elle allait les faire. Elle

sentait cette force, au-dessus

de sa tête, cette conscience

comme une pression sur elle

La Mère 1885

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La première fois que Douce Mère a entendu sa maman dire un mensonge, ça a été un grand choc. C'était la première fois que Douce. Mère rencontrait le mensonge, ce mensonge contre lequel elle a lutté toute sa vie. Elle a dit: «Ça a été une dégringolade!» Vous savez ce que c'est une dégringolade?... on tombe... on tombe... on roule de haut en bas. Elle a regardé sa maman, et elle la trouvait ridicule. Sa maman avait simplement dit à la domestique: «Dites que je ne suis pas là.» Douce Mère l'a regardée et elle a pensé que c'était ridicule, puisqu'elle était là!

En même temps, elle a eu une grande déception.

 

On ne lui avait jamais expliqué ce que c'était qu'un mensonge, mais en elle, elle sentait que ce n'était pas juste, que ce n'était pas bien.

 

Un autre jour, c'était avec son frère:

 

Il y avait une petite armoire accrochée au mur de la salle de bains, c'était une petite armoire où l'on gardait la pharmacie. Et un jour, son frère est venu chercher Douce Mère et lui a dit: «Monte sur le tabouret qui est là et puis regarde dans la petite armoire, prends le paquet et donne-le-moi.» Elle était très docile et elle aimait beaucoup son frère. Il était plus âgé qu'elle, et puis c'était un garçon très sérieux qui travaillait bien à l'école. Elle l'admirait beaucoup. Alors, tout de suite, elle est allée chercher le tabouret, elle est montée dessus, elle a ouvert la petite armoire et elle a attrapé le paquet. C'était un paquet de boules de guimauve, une sorte de bonbons pour la gorge. Elle a donné le paquet à son frère, et quand elle est redescendue, son frère lui a dit avec un doigt sur les lèvres: «Ne dis rien, hein, surtout ne dis rien à personne!» et elle, elle a reçu ça comme un choc, comme un coup au cœur. La maman est rentrée, elle a demandé: «Où est le paquet de bonbons?» Douce Mère n'a rien dit. Mais elle était très, très mal à l'aise, et ce malaise est resté pendant des années; chaque fois qu'elle repensait à cette histoire, elle sentait ce malaise, et elle se disait: «C'est ça, le mensonge: un malaise épouvantable.»

 

Quand elle avait cet âge-là, sept ou huit ans, elle ne voulait pas aller à l'école. Elle ne savait ni lire ni écrire. On avait essayé de la mettre dans un cours de petites filles, elle ne voulait pas y aller. Il faut dire qu'à cette époque, les écoles n'étaient pas très agréables,

 

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les professeurs ne faisaient qu'imposer leurs quatre volontés aux enfants. C'est grâce à l'influence de Douce Mère sur la terre que maintenant les enfants vont dans des écoles où l'on fait quelques efforts pour les comprendre et les rendre heureux. Je ne parle pas de votre école, ici à l'Ashram, qui est une sorte de paradis d'école, je vous parle des écoles du monde entier. Les recherches qui ont été faites en ce qui concerne l'éducation sont tout à fait récentes, et il est évident que c'est la présence de Douce Mère sur la terre qui a créé cet état de choses. Et c'est probablement parce que Douce Mère n'a pas été heureuse à l'école lorsqu'elle était petite qu'elle a pris tant à cœur de changer les choses dans le monde de l'éducation... Sa maman était une femme intelligente, elle comprenait qu'elle n'avait pas affaire à une petite fille ordinaire, alors elle ne l'a pas forcée à aller à l'école, elle l'a laissée libre.

 

Mais un jour, son frère Mattéo est arrivé à la maison avec un grand livre illustré. Vous savez, ces livres avec des images et des textes écrits sous les images. Il est arrivé avec ce livre, il s'est installé dans un coin de la chambre et il a commencé à lire et à rire tout seul. Mirra le regardait et elle s'est approchée de lui, elle a regardé les images du livre et elle a dit à son frère: «Dis-moi pourquoi tu ris, raconte-moi ce qui est amusant!» Son frère lui a dit: «Eh bien, tiens, assieds-toi, lis, allons, viens.» Mirra a dit: «Tu sais bien que je ne sais pas lire.» Et il lui a répondu: «Apprends!» Pour elle, ça a été déterminant. Elle a pris le livre, et comme elle aimait beaucoup son frère, elle lui a dit: «Montre-moi.» Alors, tout doucement, il lui a montré les lettres, il lui a montré comment former les mots, et en une semaine, elle pouvait lire tout le livre.

 

Un peu plus tard, à l'âge de neuf ans, elle a accepté d'aller à l'école. Elle y est allée, avec les autres petites filles.

 

Mattéo était un garçon très sérieux, il travaillait beaucoup, et il avait une grande force de caractère. Mais il perdait patience, il se mettait dans des colères terribles, et quand il était en colère, il la battait. Alors, un jour qu'il était fâché contre elle, leur maman a entendu du bruit, elle est venue voir et elle a assisté à la scène. Elle observait tranquillement, elle savait qu'elle n'avait pas des enfants faciles à élever et, avec intelligence, elle trouvait des moyens pour les aider à comprendre leurs fautes sans les révolter. Au lieu de

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gronder Mattéo, elle lui a dit simplement: « La prochaine fois, tu la tueras. » Et comme Mattéo aimait beaucoup sa petite sœur, il n'a plus jamais recommencé. Il avait une grande volonté et c'est seulement par amour pour sa petite sœur qu'il a contrôlé sa colère.

 

Il y avait dans la maison de ses parents, au 3 square du Roule, un très grand salon. A l'époque, on avait des salons très grands parce que l'on recevait beaucoup de monde. Un jour qu'elle était toute seule, Douce Mère a voulu voir en combien de sauts elle pourrait traverser ce salon qui faisait au moins dix mètres de long. Alors, elle s'est mise à l'endroit où le salon était le plus large et hop! sans même prendre son élan, elle a sauté. Elle disait qu'elle-même n'a pas compris, elle s'est retrouvée en trois sauts de l'autre côté, à l'autre angle du salon. Elle avait traversé, en diagonale, environ douze mètres, en trois sauts. Et elle n'était qu'une toute petite fille! Elle a senti, quand elle était en l'air, quelque chose qui la portait, et la posait un peu plus loin, la portait, et la posait un peu plus loin... Après, elle a essayé de recommencer, elle n'a jamais réussi. Il lui fallait une dizaine de sauts pour arriver de l'autre côté.

 

Une autre fois, il est arrivé quelque chose d'un peu analogue. Elle allait jouer avec d'autres petits enfants, dans une forêt, près de Paris, qui s'appelle la forêt de Fontainebleau. Et là, un jour, les enfants s'amusaient à courir et à s'attraper, vous savez, comme on joue à chat... Elle courait et ses camarades couraient derrière elle pour l'attraper. Et elle courait, elle courait, elle courait... Elle ne voulait pas se laisser attraper, elle pensait à courir, seulement à courir, et elle n'avait pas vu, devant elle... elle arrivait au sommet d'une petite colline, elle avait monté la colline, et quand elle est arrivée en haut, il n'y avait rien... C'était le vide, ça tombait à pic sur un chemin où il y avait des cailloux, et elle n'avait pas vu, elle courait, elle courait et tout à coup, elle a été projetée en l'air et elle est retombée sur la route. Il y avait plusieurs mètres de hauteur. Quand elle était en l'air, elle a senti qu'on la portait, elle était portée, portée dans sa chute, et elle a senti qu'on la posait tout doucement par terre. Évidemment, tout le monde a couru, les parents, les amis, les enfants, tout le monde était affolé, les enfants commençaient à se faire gronder, enfin, c'était toute une histoire. Tout le monde s'est précipité, est descendu sur la route. Elle s'est levée et elle a dit: «Je n'ai rien.» Elle ne pouvait pas expliquer que c'était quelque chose qui l'avait portée mystérieusement et qui l'avait

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C'est aussi lorsqu'elle avait treize ans, nous dit-elle dans les Prières et Méditations, que, la nuit, elle se voyait dans une longue robe dorée qui s'allongeait pour consoler les misères du monde.

C'était l'époque de « l'Asiatique au teint sombre » qui venait l'instruire la nuit et qu'elle reconnut plus tard sous les traits de Sri Aurobindo.

 

déposée comme ça, tout doucement sur le sol. En racontant cette histoire, elle a dit: «Je suis tombée très lentement.»

 

C'était vraiment une drôle de petite fille... et comme je vous l'ai dit, elle observait la vie avec une grande attention. Elle cherchait toujours le pourquoi, le comment de cette existence. Un jour, alors qu'elle avait treize ans, elle a décidé de chercher dans les livres pour

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voir si elle trouverait une réponse. Il y avait chez elle une pièce avec beaucoup de livres, c'était la bibliothèque de la maison, et dans cette pièce,, il y avait plus de huit cents livres. Elle s'est installée là et elle s'est mise à lire tous les livres de la bibliothèque. Il y en avait donc plus de huit cents, et en un an, elle avait tout lu. C'est-à-dire que ça représente plus de deux livres par jour, tous les jours, pendant un an... elle a lu tous les livres et quand elle a eu fini le dernier, elle n'avait absolument rien trouvé dans tous ces livres. C'est ce qu'elle a dit.

 

La première fois qu'elle a lu une chose intéressante, non seulement intéressante, mais a-t-elle dit, qui a été une véritable lumière, c'est beaucoup plus tard, le jour où elle a eu entre les mains un livre de Vivékananda. C'était un livre sur le Radjayoga. Là, soudain, elle a trouvé quelque chose. C'était pour elle d'une clarté extraordinaire, tout à fait lumineux, comme si, soudain, les caractères imprimés devenaient lumineux. C'était la première fois qu'elle entendait parler du yoga.

 

Son frère faisait des mathématiques. Il était dans une école dont vous avez sans doute entendu parler, l'École Polytechnique. C'est une grande école où Pavitra-da et André-da avaient fait leurs études. Mattéo, lui aussi, était polytechnicien. Avant d'entrer dans cette école, il faut étudier des mathématiques assez difficiles et il y avait un professeur qui venait à la maison pour aider Mattéo. Douce Mère aimait assister à la classe de son frère. Elle trouvait dans les mathématiques une logique qui lui convenait tout à fait. Alors, elle observait. Ce n'était pas des mathématiques de son âge, et puis à cette époque-là, les jeunes filles ne faisaient pas des études comme les garçons — je ne sais pas pourquoi, mais c'était comme ça. Les jeunes filles faisaient des choses comme la broderie, la peinture... les études, c'était pour les garçons. Mais Douce Mère regardait. Et un jour, Mattéo et le professeur étaient tous les deux penchés sur un problème tellement compliqué, que je crois que même le professeur n'y comprenait pas grand-chose; il avait du mal en tout cas.

 

Alors, ils étaient là, à tourner le problème dans tous les sens et soudain la solution est apparue très clairement à Douce Mère. C'était évident, la solution était comme ça. Comme elle voyait qu'ils cherchaient beaucoup, elle n'osait pas intervenir, mais au bout d'un certain temps, très timidement, elle a dit: «Eh bien, c'est peut-être comme ça. » Alors le professeur l'a

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regardée — il n'avait jamais fait très attention à elle, à cette jeune fille qui assistait à des cours trop difficiles pour son âge — et soudain il a été très surpris. Et Mattéo aussi était surpris. Et avant de partir, le professeur est allé dire au revoir à la maman de Douce Mère et il lui a dit: «C'est votre fille qui devrait se présenter à Polytechnique!»

 

À l'âge de quinze ou seize ans, elle allait tous les jours dans un atelier pour apprendre la peinture. Il y avait un professeur qui venait deux fois par semaine voir ce que les élèves avaient fait. C'était un homme qui avait ouvert plusieurs ateliers comme ça dans Paris, et il y avait une monitrice, une femme de vingt-quatre ou vingt-cinq ans, qui était là comme surveillante. Douce Mère trouvait cette monitrice très gentille, aimable et serviable, mais il y avait des femmes, plus âgées que Douce Mère, qui ne l'aimaient pas, pour des raisons que Douce Mère ne comprenait pas, et il y en avait une, qui était une femme très riche et qui se croyait très importante, qui était dans les faveurs du professeur-propriétaire du cours. Un jour, Douce Mère a appris que cette femme avait dit au professeur de renvoyer la monitrice, parce que, selon elle, elle n'était pas convenable. Alors Douce Mère est allée trouver cette femme qui était plus grande qu'elle, elle n'avait que quinze ou seize ans, n'est-ce pas, et elle lui a dit: «Pourquoi voulez-vous la renvoyer? Elle est très bien, elle fait très bien son travail, je ne vois pas pourquoi elle devrait partir ! » Alors, l'autre l'a regardée du haut de sa grandeur et lui a répondu: «Ce sont des choses que vous ne comprenez pas. Vous êtes trop jeune. Mêlez-vous de ce qui vous regarde, elle doit partir.» Alors, quelque chose en Douce Mère... comme quelque chose qu'elle savait d'avant... elle a pris le poignet de cette personne à un endroit précis — tout ça, sans penser — la femme a poussé un hurlement et a dit: «Laissez-moi, laissez-moi, je ferai tout ce que vous voudrez!» Obéissance parfaite...

Longtemps après, Douce Mère a montré l'endroit où elle l'avait attrapée à quelqu'un qui lui a dit que c'était un point de jiu-jitsu si douloureux qu'il peut provoquer l'évanouissement. Lorsqu'elle a raconté cette histoire, Douce Mère a ajouté:

«J'ai vécu plusieurs fois au Japon.»

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C'est à l'époque où elle faisait de la peinture qu'elle a connu Henri Morisset qui était peintre. Elle l'a épousé et, un an après, son fils André est né. Lorsqu'elle était mariée à ce peintre, elle allait en vacances à Beaugency, sur les bords de la Loire, où ils avaient une maison de campagne. C'est un endroit très joli, et là, ils faisaient de la peinture. C'est une région de France où, à la Renaissance, les rois avaient leurs châteaux, et l'on visite ces châteaux comme monuments historiques. Un jour, elle était dans un de ces châteaux, je crois que c'était le château de Blois, où il y a une série de portraits d'une famille royale par le peintre Clouet. Elle s'était arrêtée devant un portrait et elle dit: «Mais pourquoi m'a-t-il fait une coiffure comme ça?...» et puis elle a vu que les gens commençaient à la regarder bizarrement... et elle s'est arrêtée de parler. Elle avait été cette dame, dans une existence passée, et devant la peinture, soudain, tout le souvenir est redevenu présent, et elle se souvenait qu'elle ne portait pas cette robe, qu'elle n'était pas coiffée comme ça. Et elle a ajouté: «Je me suis arrêtée de parler, car les gens auraient dit: «Cette dame est folle!»

 

 

Le Pont de Beaugency, croquis par la Mère.

 

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La Mère et André.

Pastel par Henri Morisset, 1902

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